LA GAZETTE DE RINOU

Un prénom pour la Vie

 

Je raconte l’histoire de la pilule à castrer les coqs dans « Le Château de la Fièvre Aphteuse » et elle est passée à la postérité. Pour la même raison, il me paraît intéressant de raconter l’origine mon double prénom : « Henry-Noël ».

 

Mon père est l’aîné d’une famille nombreuse. Mes grands-parents paternels ont eu neuf enfants. Jean, mon père, Marie Madeleine, dite Madette, Yvonne, Marguerite, dite Mitou, Lucien, Joseph, Etienne, Geneviève et Henri.

 

Je dois mon prénom à ce petit dernier.

 

Henri Ferraton est né à Saint-Chamond dans la Loire, le dimanche 5 mars 1939. L’enfant se porte bien jusqu’au moment où il est atteint d’une grave infection que seule la Pénicilline pourra enrayer. Mon grand-père se démène comme un beau diable pour se procurer le précieux médicament. Nous sommes début 1940, la pénicilline est une découverte récente dont je résume l’histoire :

 

Le premier à en parler est un médecin français, Ernest Duchesne. Il a publié en 1897 une thèse de médecine intitulée «Contribution à l’étude de la concurrence vitale chez les micro-organismes: antagonisme entre les moisissures et les microbes» où il étudie en particulier l’interaction entre Escherichia coli et Penicillium glaucum. Bien qu’il soit le précurseur de la thérapie au moyen des antibiotiques, et, en particulier, de la pénicilline, ses travaux sombrent dans l’oubli.

 

La pénicilline a été officiellement découverte le 3 septembre 1928 par Alexander Fleming. Le chercheur écossais travailla ensuite plusieurs années à essayer de purifier cet antibiotique.

 

Ce n’est qu’en 1940 que deux autres chercheurs, Florey et Chain, réalisèrent le rêve de Duchesne et de Fleming en purifiant la pénicilline. L’industrialisation à grande échelle a été menée à bien pendant la Seconde Guerre mondiale, sous la direction du comité de recherche médicale de l’Office of Scientific Research and Development. Dès 1942, l’usine de Terre Haute (Indiana) pouvait produire 40 milliards d’unités de pénicilline par mois dans des réservoirs de 50000 litres.

 

C’est bien trop tard pour sauver le pauvre Henri qui décédera le jeudi 30 mai 1940. Il a quatorze mois. Une bien trop courte vie que mon père et probablement mon grand-père ont souhaité prolonger.

 

C’est une habitude dans les familles de baptiser un nouveau-né du prénom d’un oncle ou d’un frère décédé. Mon grand-père, dont les parents ont perdu une fille, Marie-Louise, à l’âge de cinq ans et un fils Jean, mort de la grippe espagnole en 1918, a prénommé son premier fils Jean et sa première fille Marie. Rien d’original.

 

Dans l’immédiat après-guerre, mon père fréquente une amie de ses sœurs, la jeune Chantal Callet, 18 ans. Fréquentation assidue qui mène au mariage célébré le 4 mars 1948 suivi d’un voyage de noces en Corse. Au début de l’été1948, Chantal annonce à Jean qu’elle est enceinte.

 

Comment va-t-on prénommer le premier enfant de cette nouvelle génération ? Tout naturellement le prénom du jeune oncle, décédé huit ans plus tôt, arrive sur toutes les lèvres. C’est sans compter sur la personnalité déjà affirmée de la jeune Chantal. Elle aime son Jean d’un amour qui ne faiblira pas pendant plus de quarante ans malgré les épreuves, mais là, c’en est trop :

 

   Donner à mon fils le nom d’un mort, jamais, dit-elle !

 

Ah oui, mais comment honorer l’oncle mort sans froisser la jeune belle-fille ? Qui a trouvé la solution ? L’histoire ne l’a pas retenu. La naissance étant prévue au moment de Noël, ce sera « Henry-Noël ». Si j’avais été une fille, je me serais prénommée « Marie-Noëlle ». Ouf, j’ai échappé à une « Henriette » qui me pendait au nez.

 

Ultime subtilité, Henry sera écrit avec un « Y », à l’anglaise. Officiellement, l’orthographe de mon prénom déposé en mairie de Saint-Etienne est « Henri-Noël ». Janine, la sœur de Maman qui a été chargée de la déclaration, a dû oublier de le préciser à l’employé de l’Etat-Civil. Mais, je tiens beaucoup à mon « Y ».

 

Je suis né le dimanche 2 janvier 1949. Par ce jour de la semaine, j’ai honoré le petit oncle décédé, né lui aussi un dimanche. Et surtout, officiellement baptisé le 6 janvier 1949 sur les fonts baptismaux de la Grand-Eglise à Saint-Etienne par l’archiprêtre qui n’en revenait pas de ce prénom si original.

 

Ma jeune vie débute avec ce joli prénom que personne n’ose amputer ni modifier. Maman note consciencieusement l’encre bleue sur un petit carnet à ressort métallique:

 

   Dimanche 6 février (4,080kg) Henry-Noël a été habillé pour la première fois

   Lundi 7 février (4,020kg) Henry-Noël est sorti pour la première fois dans sa voiture.

   Dimanche 6 novembre, Henry-Noël perce sa première dent (encore un dimanche) ;

   Lundi 9 janvier 1950, Henry-Noël marche tout seul.

   Etc., etc.…

 

Cela sort du petit carnet bleu, mais je suppose que toute la famille et les amis appellent le petit chérubin par son prénom entier.

 

Aujourd’hui, rares sont ceux qui utilisent encore ce prénom de baptême. Quelques cousins éloignés, des amis d’enfance qui ne m’ont pas vu depuis des lustres, mes lecteurs qui n’ont pas le choix, car je signe mes livres de mon vrai prénom.

 

Je ne saurais dire à quelle date m’a été attribué le surnom que je porte aujourd’hui avec beaucoup de plaisir.

 

Une certitude : c’est Papa le premier qui m’a appelé ainsi:

 

A la campagne dans sa clientèle de l’époque, beaucoup de femmes portent un prénom composé de Marie et d’un autre prénom. Mais c’est beaucoup trop long. Alors Marie-Josephe devient Marijo, Marie Antoinette devient Marinette et Marie Noëlle devient Marinou. Et elles sont nombreuses les Marinou à cette époque.

 

Un jour, mon père s’exclame :

 

   Mais moi aussi, j’ai mon Rinou !

 

Très rapidement, ce surnom a supplanté le joli petit nom choisi par ma Maman et aujourd’hui encore, c’est ainsi que ma famille, mes amis, mes voisins et connaissances m’interpellent.

 

Pourtant dans mon enfance et ma jeunesse ce vrai prénom est utilisé de temps à autre et je n’en garde pas un bon souvenir :

 

Quand par exemple, j’avais fait une bêtise et que Papa ou Maman m’appelait :

 

   Henry-Noël, descends immédiatement !

 

Je savais que l’utilisation de mon prénom complet ne présageait rien de bon pour moi.

 

Ou encore ces appréciations sur les carnets de notes :

 

«Henry-Noël peut mieux faire !»

 

«Henry-Noël ne fait strictement rien et ne veut rien faire!»

 

Pour cette dernière, je suis persuadé que si le prof m’avait parlé plus gentiment en utilisant mon surnom, j’aurais été capable de… faire quelque chose !

 

Ce surnom a fait l’objet de nombreux détournement dont je ne retiendrai que deux, issus de ma période « rugby » :

 

Le plus facile : Rinou, c’est rosse!

 

Et surtout celui-ci, du à l’humour toujours aiguisé du regretté Albert Mizoule qui estimait que ma forte corpulence était due au fait que j’étais : « un Rinou bien nourri! ».

 

HNF 11/06/2019